Haïti 2012

Voici la cohorte de stagiaires québécois qui sont allés à Kenscoff, Haïti, animer des ateliers éducatifs pour enfants en juillet et août 2012. Ils ont rejoint là-bas un autre jeune québécois, Maxime Sauvageau, qui a travaillé avec eux à l’animation des camps de jour.

De gauche à droite: Marie-Ève Courchesne, Lysandre Beauchemin, Geneviève Laberge, Judith Filiatrault et Anthony Bergeron

Ce sont tous des jeunes qualifiés qui n’en étaient pas à leur première expérience d’entraide internationale. Leur champ d’étude respectif sont: la danse professionnelle, le développement international, le tourisme ou l’éducation.

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RAPPORT DE STAGE : UN CAMP DE VACANCES EN HAÏTI

Par

LYSANDRE BEAUCHEMIN

24 OCTOBRE 2012

 

Remerciements

Avant d’entamer l’élaboration de ce présent rapport, je voudrais prendre le temps d’adresser mes plus sincères remerciements à l’organisme qui a chapeauté le tout, et sans lequel cette expérience n’aurait pu être vécue. Les Ouvriers et Paix, plus précisément Johane et Jean, je vous dédie ces quelques lignes.

Merci d’avoir été là avec nous, beau temps et mauvais temps. Merci de nous avoir toujours donné l’heure juste, merci pour les innombrables heures investies dans ce projet qui était un rêve fou. Les « mercis » pourraient se rendre jusqu’au bas de la page, mais je vais simplement vous dire : merci d’avoir cru en nous.

 
Introduction

En 2007, j’ai connu mon premier coup de foudre. Comme toute passion, cette dernière se partage entre l’Amour et la Haine. Haïti s’est imposé dans ma vie; tranquillement, mais surement. Du haut de mes 17 ans, jamais je n’aurais envisagé qu’un simple « voyage humanitaire » du secondaire viendrait influencer mes études universitaires. Certes, je ne m’en étais pas rendu compte, mais c’est bel et bien le cas. Après cette première piqure avec l’international, je suis bien décidée à voir et gouter l’Afrique. Ma motivation à l’international n’est pas de « changer le monde », mais certainement pas rester dans la passivité. Si je peux faire quelque chose, je le ferai. Et c’est comme cela que j’honneur mes convictions. Mon passage au collégial me permet d’entreprendre un projet au Sénégal. Deux années sont nécessaires pour élaborer ce voyage. Somme toute, cette expérience est laborieuse pour moi, et je suis convaincue à mettre un terme aux projets comme celui-ci. Haïti revient à la charge en 2010. Alors que je passais une période trouble, ma meilleure amie, Judith, me propose de retourner à Kenscoff pour Noël. Nous sommes 5 participants; Judith, ses parents, une psychoéducatrice et moi-même. Notre projet, chapeauté par les Ouvriers de Paix, est dans un orphelinat que nous avions déjà visité Judith et moi en 2007. Passer le temps des fêtes dans l’extrême pauvreté a été le plus beau Noel que j’ai connu. Trop attachées à ces enfants et à la responsable (Sœur Dona), nous nous faisons la promesse de revenir pour continuer le projet entamé. Et donc, Haïti 2012 est initialement la suite de cette promesse. Toutefois le projet a beaucoup changé. Un mois et demi avant de partir, nous apprenons que l’orphelinat a fermé subitement et que Sr Dona est incarcérée à Pétion Ville. Bouleversée, notre équipe s’est retournée vers notre deuxième allié, Père Cico le « leader de la région de Kenscoff ». Ainsi, notre tâche d’œuvrer avec des enfants dans un orphelinat change d’établissement pour un camp de vacances à Robin.

Dans ce rapport, vous trouverez 3 principales sections. D’abord, une vue d’ensemble sur les organismes qui ont supervisé le stage vous permettra de bien saisir l’énergie entourant ce stage. Ensuite, le déroulement du stage sera expliqué, et enfin un retour personnel sur l’expérience vécue sera présenté.

 

1. Vue d’ensemble des organismes

Dans cette première section, les organismes attachés à ce projet vous seront présentés; de leurs fondements respectifs à leurs objectifs personnels. Il y aura aussi une présentation de mon équipe de travail.

1.1 Les Ouvriers de Paix (OdP)

Les Ouvriers de Paix (OdP) sont un organisme à but non lucratif situé dans la petite localité de Saint-François-du-Lac. Depuis 1985, cet organisme communautaire œuvre dans multiples projets protégeant le « mieux-être de la collectivité et le développement personnel des individus »[1]. Leurs objectifs s’expriment de plusieurs façons : par la création d’un réseau de partage et d’entraide, par un mouvement d’aide octroyée aux jeunes, par des projets orientés en faveur de la justice et de la paix en solidarité avec les peuples du Tiers-monde, par l’autofinancement des activités humanitaires provenant des revenus agricoles et tourisme solidaire[2]. La simplicité volontaire et la foi guident leur mission. Plus concrètement, les OdP ont élaboré un vestiaire pour les personnes moins nanties de la région. Ce vestiaire contribue au revenu engendré par les OdP. Ils ont un calendrier d’activés variées : service de la soupe populaire, cinéma, conférence, camp médiéval, spectacle musical, soirée costumée, etc. Ces activités rejoignent une large clientèle autant pour les jeunes que pour les adultes ayant toujours des moyens plus limités. Le café communautaire de St-François est un lieu de socialisation important aussi géré par les OdP où l’insertion sociale est mise de l’avant. Ils ont récemment conçu un site de tourisme solidaire où les produits locaux de la ferme y sont vendus. L’ouvroir est un projet, lancé par un adolescent membre, de création d’artisanat avec des produits recyclés. L’artisanat est ensuite vendu lors d’activités, d’expositions ou  de sorties ce qui génère d’autres revenus. Ils sont soucieux de la pauvreté au Québec comme à l’international. C’est pourquoi ils ont commencé leur implication communautaire en Haïti depuis 2010. En plus de sensibiliser des gens d’ici au développement international, ils élaborent des projets directement avec la communauté haïtienne par le biais de « leaders » régionaux tels que Sœur Dona et Père Cico. C’est ainsi que les OdP nous ont mandaté comme observateur en Haïti pour la période juillet-aout 2012.

Au niveau législatif, les membres du comité administratif, appelé le « conseil corporatif », se réunissent mensuellement. Le CA se compose de 7 membres, dont un(e) président, un(e) secrétaire, un(e) trésorier ainsi que des administrateurs ayant diverses aptitudes. Il est intéressant à savoir que les prises de décisions se prennent à l’unanimité. Ils cherchent à obtenir la concorde totale au sein du comité. S’il advient d’un vote divisé, ils se donnent un temps de réflexion pour trouver d’autres solutions ou alternatives. Il n’y a donc pas de veto pour le président. Les membres du conseil corporatif sont élus par tous les membres lors de l’assemblée générale annuelle. Les enfants peuvent être membre (avec le consentement du parent), et même siéger lors de rencontres avec le CA à titre d’observateur. En certains cas extraordinaires, l’assemblée générale peut être convoquée. Ces mesures sont requises pour la modification de la charte par exemple. Il existe trois options pour devenir membre de la corporation. La première est un engagement de bénévolat à l’égard de la corporation; la deuxième est de porter la corporation par de voie de prière; et la dernière est de faire un don. Il peut sembler particulier de faire un engagement par la foi, mais cette option prend tout son sens quand l’on considère que des personnes très démunies désirent s’impliquer. Il y a effectivement des étrangers (en provenance de l’Afrique notamment) qui sont membres de la corporation. La prière devient donc un terrain commun.

Personnellement, j’ai fait la rencontre des Ouvriers de Paix par l’intermédiaire de Judith qui est activement impliquée dans cet organisme. J’ai fait une première expérience avec ceux-ci en 2010 en Haïti. Nous sommes partis durant la période des fêtes vivre dans l’orphelinat de Sœur Dona situé dans de la région de Kenscoff. Nous avions comme premier objectif de cibler les besoins véritables de l’orphelinat (aussi nombreux sont-ils). Toutefois, le développement des enfants, évalué par la psychoéducatrice, était notre priorité. Mentionnons qu’une aide directe sur la nourriture et les vêtements était nécessaire. Après cette expérience très touchante, Judith et moi nous sentions d’attaque pour poursuivre ce projet. Toujours sous l’aile des Ouvriers de Paix, toute l’équipe a élaboré le projet d’« Haïti 2012 » plus activement sur une période d’un an.

1.2 Afè Nèg Combit (ANC)

Afè Nèg Combit qui signifie en français « le travail en communauté » est fondé en 1976 par le Père Occide Cico. Ce dernier a fait des études universitaires en sociologie et anthropologie avant de se lancer dans le domaine communautaire. Cette association communautaire apolitique a son siège social à Kenscoff. Les domaines clés d’intervention de l’organisme sont l’éducation, la santé, l’agriculture et les infrastructures. Leur moyen d’intervention est d’encadrer et d’éduquer les communautés locales et rurales de telle sorte qu’elles participent de façon plus effective et efficace à leur propre développement. Ainsi l’ANC se donne pour objectif principal de rechercher, promouvoir et favoriser le développement culturel, social et économique des différentes sections de sa région. Elle vise donc à améliorer la qualité de vie des collectivités et à augmenter leur productivité, leur revenu et leur niveau de vie. Les buts de l’organisme se définissent par :

  • L’animation et la motivation des communautés;
  • La diversification de la production en réhabilitant la couverture végétale par la lutte contre l’érosion;
  • L’accès à l’éducation pour tous;
  • L’accès à des soins sanitaires;
  • L’accès à l’eau potable;
  • Le développement du réseau routier;
  • La création d’activités génératrices de revenus[3].

Un point très important de l’ANC est la mobilisation paysanne afin de réaliser les projets communautaires qui sont perçus comme une entreprise collective. Expliquons que la région de Kenscoff est divisée en cinq zones : Nouvelle-Tourraine, Sourcailles, Grand Fond, Belle Fontaine et Bongars. Chaque zone comprend de nombreux petits villages d’où la complexité de réunir et représenter tous les paysans. La mobilisation se réalise à partir d’un corps de leaders entrainés et représentatifs de leur zone qui deviennent par la suite responsables de projets. En effet, les bureaux régionaux organisent à certaines périodes des formations et des « entrainements » à l’intention des leaders désignés. Ces formations suivent toujours les quatre grandes thématiques que sont l’éducation, la santé, l’agriculture et les infrastructures. Au besoin, il se forme au niveau central un bureau technique de planification de projets avec les représentants des différentes zones concernées. Il peut aussi y avoir un groupe de bénévoles. Cico définit l’ANC comme « un mouvement conçu par, avec et pour les paysans »[4]. Pour aider la compréhension de la structure de l’association, voici un bref schéma.

Concrètement, depuis ses 36 années d’implication dans le milieu, l’ANC a notamment rénové ou construit des écoles publiques et spécialisées, établis des dispensaires communautaires, construit le dortoir des marchandes, développé le repeuplement porcin, construit des captages d’eau, réparé et agrandi le réseau routier et fait des centres communautaires. Toutefois, les sources de revenus sont difficiles à dénicher. Une bonne partie de ces sources proviennent des groupes d’écoles secondaires québécoises (principalement en provenance de Victoriaville et Nicolet) et des groupes brésiliens. Lors de leur passage, l’argent versé entre autres pour l’hébergement à « Lotèl popilè » se transfère automatiquement dans les banques l’ANC. À titre d’exemple, la cantine populaire est un service très apprécié à Kenscoff. Toutefois, ce projet engendre beaucoup de frais pour cette organisation sans revenu abondants. Le prix pour les paysans pour un repas est de 10 gourdes (environ 0,12$ US). Bien entendu, l’ANC est dans le déficit sans subvention. Et donc, avec l’argent d’un groupe scolaire de 2 semaines, les sommes versées combiné au prix fixe par repars permettent de faire vivre la cantine populaire servie quatre fois par semaine (environ de 500 à 600 repas/ semaine) pendant presque un an.

Personnellement, j’ai fait la rencontre de Père Cico et de l’ANC (puisque l’un ne va pas sans l’autre) en 2007 avec mon école secondaire Jean-Nicolet. C’est un grand homme respecté, très inspirant et inspiré pour relever le pays d’Haïti. On dit de lui : « Père Cico restera le leader communautaire le plus regretté, le plus discuté, parfois détesté, mais jamais oublié ».[5]

1.3 Présentation de l’équipe

J’ai eu la chance d’avoir une équipe exceptionnelle. Bien qu’à tout notre groupe, nous couvrons un territoire de 640km passant de Montréal, à Sherbrooke, à Trois-Rivières à Québec, nous nous sommes choisis, et ça fait toute une différence lors de moments si intenses. Trouver des disponibilités communes relevait du défi à chaque rencontre. L’avantage est que nous provenons tous du Centre-du-Québec : lieu officiel de nos activités, formations et rencontres. Nous sommes âgés de 17 à 22 ans.

C’est avec joie que je vous présente mes compagnons de voyage. Tout d’abord, Judith Filiatrault; 7 années d’amitié sincère. Je ne pense pas avoir de meilleure amie qu’elle. Notre connexion est très proche, et j’éprouve un grand respect et amour à son égard. Elle a aussi beaucoup d’expériences à l’international : France, Espagne, Maroc, Pérou, Togo et Haïti. Cette année était notre troisième projet en Haïti ensemble. Différentes natures de projets, différentes missions. Anthony Bergeron; protecteur de ses dames! Il aura su nous faire rire et décompresser. D’une facilité incroyable à côtoyer, il apporte optimiste et détente. Il est notamment l’amoureux de Judith. Ses expériences de voyages sont aussi nombreuses que Judith. Il a d’ailleurs fait un projet de coopération internationale au Burkina Faso pendant 2 mois. Un homme, c’est indispensable pour calmer les humeurs d’autant de femmes. Heureusement, il a partagé cette tâche avec Maxime. Maxime Sauvageau; notre surprise du groupe. Il s’est greffé à nous dès la deuxième semaine puisqu’il était avec un autre groupe de Nicolet, toujours à Kenscoff. Il a apporté une couleur indispensable au sein du groupe. Ses nombreuses expériences en terre haïtienne (4) nous ont d’ailleurs servi plus d’une fois. Nouvelle coopérante; Geneviève Laberge est la petite sœur de Judith. Elle fait présentement des études en tourisme à Québec. Elle a eu son premier contact avec les pays du Tiers Monde au Nicaragua et au Honduras. Notre cadette aux multiples talents est d’un enthousiasme contagieux lorsqu’il s’agit de partir à l’aventure! Excellente partenaire aux cartes à jouer, nous avons passé de très belles soirées en sa compagnie. Et enfin, Marie-Ève Courchesne est notre professionnelle de danse (et du corps humain, j’ajouterais). Elle vient de graduer à l’école de danse contemporaine de Montréal (Admmi). Lorsqu’on avait une douleur quelconque, elle était là pour nous rassurer et soulager nos maux. Notre « Pocahontas » possède une énergie flamboyante qui a motivé nos jeunes lors des ateliers. Elle a fait son premier voyage en Haïti en 2007, accompagnée de Judith et moi-même. Donc, Haïti était un terrain connu pour la plupart d’entre nous. Nous étions confortables avec Kenscoff, mais Robin était un tout nouveau lieu pour nous tous.

 

2. Le stage

Dans la prochaine section, il sera question de spécifier quelques éléments prédépart de nature humaine, financière, et technique ainsi qu’un rappel de mes rôles et responsabilités. Enfin, une explication des grandes étapes du stage et de la visite des lieux de pouvoir seront posées.

2.1 Ressources humaines, techniques et financières

Pour ce projet, nous devions ramasser environ 10 000 $. Nous avons utilisé diverses sources de financement pour y parvenir. Tout d’abord, il faut incontestablement souligner la participation active des Ouvriers de Paix dans toutes les étapes du processus. Ils nous ont aidés dans l’élaboration des campagnes de financement; des invitations, aux ventes de billets, en nous prêtant un bâtiment gratuitement, en cuisinant avec nous. Ils étaient présents à toutes nos campagnes lors des soirées multiculturelles, spectacles, « cabane à sucre », conférence, et j’en passe. Avec toutes ces campagnes de financement, nous sommes parvenus à payer les billets d’avion. Les OdP ont aussi largement contribué dans la somme totale d’argent à collecter. Avec le programme « SOS Haïti » instauré depuis quelques années déjà, les OdP assumé nos frais d’hébergement en Haïti. Un autre cadeau de la corporation… Mais l’aide sans doute la plus appréciée est tout le temps que Johane a investi pour entre autres comptabiliser toutes les entrées ou sorties fonds. Elle est une formidable trésorière. Gérer les finances ne fait pas partie de mes habiletés, et je la remercie de ne pas m’avoir attribué cette tâche! Toute l’équipe est vraiment très reconnaissante du temps, de l’espoir et de l’argent que les Ouvriers de Paix ont investi pour nous. Nous sommes très choyés d’avoir cet organisme à nos côtés, et nous les remercions derechef. Au final, il ne restait que nos dépenses personnelles à prévoir dans notre budget de voyage.

2.2 Rôle et responsabilités

Mon rôle officiel dans cette expérience est observateur pour les OdP par l’intermédiaire d’animation d’ateliers. C’est par le biais des ateliers que nous parvenons à cibler avec les enfants les besoins des petites localités. Il ne faut pas négliger l’importance de ce rôle d’animation, car c’est avec ce dernier que nous entrons en contact avec les enfants. Un enfant que tu croises dans la rue n’aura pas la même relation, pas la même proximité que l’on peut développer au fil des semaines. Les enfants ont leur importance, mais les responsables de l’organisation aussi. Nous étions beaucoup en contact avec Altagrace qui est une membre importante de l’ANC. C’est elle qui a organisé les lieux et mobilisé les jeunes. Son aide était vitale à la bonne réalisation du camp. Tous les jours, nous tentions de nous adapter aux situations diverses sous les recommandations d’Altagrace. Elle ne nous disait jamais directement «  faites ceci », mais il fallait comprendre et modifier nos ateliers en conséquence. Par exemple, la première semaine, les ateliers étaient plus courts, car nous avions des attentes de base sur la participation des jeunes. Il a fallu réajuster notre tir avec les enfants en leur laissant plus de temps pour l’exécution des jeux et en insistant plus rigoureusement comme Altagrace le faisait. Bref, il fallait agir à la méthode haïtienne pour se faire comprendre.

J’avais aussi comme responsabilité de tout prendre en note afin de documenter et archiver nos faits et gestes pour éventuellement en faire rapport aux Ouvriers de Paix (par le présent rapport et par la conférence donnée le 29 septembre dernier). Ma difficulté rencontrée est une réalité courante en Haïti : nous n’avions pas d’ordinateur ni internet de façon permanente. Je devais donc tout écrire sur papier que j’ai transcrit en arrivant au Québec. Cela parait banal, mais c’est le travail double en plus de porter la grande crainte de perdre mes documents! Donc, tous les midis et parfois le soir, je questionnais le groupe sur le déroulement des ateliers; leurs impressions, leurs recommandations, leurs constats, etc. Nous tentions de conserver un esprit représentatif et de durabilité. Nous repérions les infrastructures déjà en place susceptibles d’être utilisées lors d’éventuels projets avec les OdP, nous notions les prix des transports en tap-tap/moto/camion et les prix de la nourriture. Nous explorions les marchés et les villages avoisinants tout en gardant de bonnes relations avec l’Afè Nèg Combit. Voilà qui résume mes responsabilités pendant le stage.

2.3 Les grandes étapes du stage

Dans le cadre de ce stage, nous avons participé à la mise en place et à la réalisation d’un camp de vacances pour les enfants de villages avoisinants à Kenscoff. Nous avons créé des ateliers (lors de formations) que nous avons transférés à Altagrace, notre partenaire local. Celle-ci a procédé au recrutement dans les villages et a complété les inscriptions pour notre arrivée. Huit ateliers ont été élaborés en ce sens : arts du cirque, danse, théâtre, motricité, arts ménagers, connaissances générales, bricolage et divers. Chaque atelier était dirigé par un « professeur » accompagné d’un assistant. Par exemple, je donnais ou assistait les cours du cirque, de bricolage, de motricité, de théâtre et d’art ménager. Parfois même, toute l’équipe s’alternait les rôles. Le reste du temps, nous faisions de l’animation à l’extérieur, dans la « cour », avec les enfants d’autres groupes. L’heure du midi est consacrée à la distribution des repas lesquels prenaient entre 1h30 à 1h45.

Fait intéressant : après plusieurs jours d’ateliers, nous étions un peu surpris, voire déçus, de l’attitude des enfants à notre égard. Ils étaient très distants et très peu collaborateurs. Ayant comme référence les journées d’animation à l’orphelinat, peut-être avions-nous trop d’attentes. Nous avons aussi projeté l’hypothèse que les enfants étaient peut-être plus attirés par le repas servi plutôt que par les ateliers en tant que tels. Nous avons finalement compris que les enfants avaient un énorme blocage vis-à-vis nous à cause de notre statut. Nous étions les « blancs »[6] et professeurs, et les jeunes étaient en quelque sorte soumis à notre l’autorité. Dès lors, nous avons fait plus régulièrement des activités à l’extérieur du cadre établi. Les relations se sont automatiquement améliorées, et les liaisons avec les enfants sont devenues telles que nous l’avions espéré.

En ce qui concerne le mode de fonctionnement des ateliers, nous avons préparé un horaire pour faciliter sa gestion. Les enfants inscrits aux activités se présentaient seulement aux journées dédiées à l’activité concernée. De fait, nous avions deux à trois groupes différents chaque jour. Les groupes étaient constitués de10 à 20 jeunes pour chaque groupe, et les tranches d’âge variaient de 4 à 16 ans. À titre d’exemple, vous trouverez l’horaire officiel des ateliers publié un peu plus bas.

Pour le rendement fourni et les résultats obtenus, vous pourrez obtenir plus amples détails en consultant le bilan journalier disponible en annexe. Dans ce dernier, les objectifs, les réalisations, les progrès et les résultats y sont expliqués. Ajoutons que certains problèmes de même que les solutions déployées relatifs au camp y sont aussi relatés.

 

LUNDI

MARDI

MERCREDI

JEUDI

VENDREDI

10H

Danse

Motricité

Arts ménagers

Ateliers divers

Varia

11H

Cirque 1

Bricolage

Cirque 2

Théâtre

Libre

14H

Danse

Motricité

Arts ménagers

Théâtre

 

15h

 

Connaissances générales

Cirques 2

   

 

3. Recommandations

Suite à cette expérience, notre mandat initial est de conseiller les Ouvriers de Paix dans leurs actions futures par rapport au camp en Haïti. Une hypothèse principale a été formulée par Madame Claudette York lors de la conférence de retour: « former deux jeunes adultes haïtiens afin de leur confier éventuellement la mise en place et l’animation de camps de jour estivaux dans les années à venir ». Le projet se poursuivrait avec les OdP qui enverraient une équipe de Québécois animateur de ce camp. Les deux jeunes haïtiens seraient présents comme observateurs et rémunérés par les OdP. L’année suivante, une nouvelle équipe québécoise serait envoyée. Cette fois-ci, elle serait plus réduite puisque ce sont les deux jeunes haïtiens (toujours rémunérés) qui prendraient le relais dans l’organisation et la réalisation du camp. Ainsi, graduellement, la transition du camp de vacances passerait de la main des Québécois aux Haïtiens. Les OdP nous ont déjà confirmé qu’ils sont à l’aide avec l’idée puisqu’ils « aider[aient] ainsi des jeunes à poursuivre leurs études peut-être, grâce à cet argent gagné, et aider[aient] les enfants des paysans de cette région reculée et peu atteinte par les bienfaits de l’éducation »[7].

Durant le camp, nous avons effectivement repéré deux jeunes qui démontraient plus d’intérêt et d’habileté dans les ateliers. Maydenis et Stanley sont âgés approximativement de 15 ans. Ils nous ont d’ailleurs assistés dans la dernière semaine de camp (pour plus amples informations, consultez la semaine 3 du bilan journalier). Toutefois, je ne suis pas convaincue par cette hypothèse. D’abord parce que je ne pense pas que le fait de payer des jeunes haïtiens comme observateurs/animateurs serait bien perçu dans la communauté. On ne paie pas les enfants pour ce genre de travail. Non, parce que c’est le travail des professeurs qui ont fait des études. Les jeunes pourraient certes participer, mais j’ai un gros doute concernant la compensation financière. Ensuite, parce qu’ils n’ont pas d’initiative. Ce n’est pas inné en eux. À cet âge, ils ont besoin d’être fortement motivés et accompagnés. C’est lourd comme tâche, et nous même qui sommes habitués à ce type d’engagement n’aurions sans doute pas réussi sans l’aide d’organismes des deux milieux. Alors, je nous vois mal léguer le tout. Certes, nous ne sommes pas restés assez longtemps pour savoir si les deux jeunes ciblés étaient véritablement intéressés par le projet et dignes de confiance. Mais, je rappelle la réflexion que nous avons eue en groupe (disponible aussi dans le bilan journalier) : « est-ce possible que des jeunes haïtiens prennent le relais sans la présence des Occidentaux? Sont-ils assez automnes, débrouillards et motivés pour entreprendre ce type de responsabilité? Cela est-il viable? ».

Personnellement, je suis d’avis qu’il ne faut pas retirer la présence de groupes québécois trop tôt, car sinon, je doute que les Haïtiens poursuivent le camp sans motivation ni fonds monétaires. Il y a un risque de ne pas y avoir de relais de la part des Haïtiens. Et toutes les énergies déployées seraient vaines. Rappelons-nous aussi qu’ils ne fonctionnent pas sur le même rythme que nous (les Occidentaux) : l’efficacité n’est pas au quotidien. Si on veut que ça marche systématiquement, ça doit devenir une habitude pour eux. S’ils constatent qu’il y a toujours un camp de vacances l’été, le projet sera plus accepté par la communauté, et donc favorisé. Le temps exige du temps. Tout est plus lent, plus long là-bas. « On ne peut pas sauter d’étape » me martelait ma professeure de piano (Carmen Picard) voyant que j’étais impatiente d’interpréter la pièce alors que je la déchiffrais. C’est la même chose pour ce genre de projet. Cela me fait d’ailleurs penser aux objectifs que nous avions pour l’atelier de théâtre. Dans un modèle québécois, ils étaient facilement réalisables. Dans le cadre haïtien, ça n’avait pas de sens. Même si on est plein de bonne volonté, on ne peut pas aller plus vite que leur vitesse.

Ce que je propose : on engagerait 2 adultes. Le premier serait un jeune professeur diplômé puisque les professeurs sont habituellement sans emploi l’été. Ils doivent ainsi avoir un deuxième métier. Aussi, il existe un problème alarmant en Haïti : « l’exode des cerveaux ». Bon nombre de jeunes diplômés cherchent à quitter le pays afin d’obtenir de meilleures conditions. En travaillant en collaboration avec les OdP et ANC, il obtiendrait ainsi le prestige et l’expérience avec l’international qu’il recherche. Ses rôles consisteraient à coordonner l’activité, recruter les animateurs (les jeunes haïtiens) et même les former. Nous serions en étroite collaboration avec lui pour cibler les activités possibles dans cette éventualité. Nous pourrions aussi organiser et animer les premiers camps afin de mieux intégrer le professeur à l’équipe permanente. Ensuite, je recommande fortement la collaboration de l’ANC, car les membres-leaders sont fiables et possèdent une influence directe et efficace dans le milieu. En ce sens, la seconde personne intégrée serait un membre de l’ANC qui chapeauterait l’activité. Ses rôles consisteraient à promouvoir l’activité lors des rencontres régulières de l’ANC et responsable aux communications, car il n’y a que très peu d’ordinateurs disponibles à Kenscoff dont un situé au centre populaire de Kenscoff géré par l’ANC. Les fonds monétaires seraient versés directement à l’ANC qui eux gère déjà plusieurs projets. La répartition de l’argent serait assurée.

Enfin, il aurait tant à conseiller pour d’éventuels étudiants qui aimeraient s’impliquer dans ce genre de projets. Tant de suggestions que je pourrais faire un rapport complet seulement sur cette question. Je limiterais alors ma réflexion qu’à une seule recommandation : donnez-vous à fond autant dans la préparation (tellement importante) que dans les formations que dans les levées de fonds, mais surtout sur le terrain lors de votre stage. Ce sont des moments inoubliables et tellement enrichissants. Je demeure toutefois disponible pour échanger avec des futurs stagiaires dans la perspective où ils aimeraient connaitre les étapes plus approfondies d’un tel projet.


[1] Site internet des OdP : www.ouvriersdepaix.org

[2]  idem

[3] Certaines informations proviennent d’échanges avec Père Cico lors de notre dernier passage en Haïti ; d’autres de documents fournis par Dany Sauvageau.

[4] Père Cico, visiblement inspiré de Lincoln.

[5] FOCAA, signature d’un graffiti sur un bâtiment.

[6] En Haïti, il y a un fort racisme installé envers les Occidentaux. C’est pourquoi ils nous appellent les « Blancs ».

[7] Johane Filiatrault s’est exprimé en faveur de la proposition lors de la conférence.

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